Le théâtre (2)

Quand on parle de théâtre, on parle en premier lieu des acteurs, de ceux qui interprètent les rôles sur la scène, qui donnent vie à l’ensemble de l’histoire qui se déroule devant nos yeux. Or, qu’est-ce qu’un bon acteur, en quoi consiste son travail, quelle est son aptitude à jouer le rôle d’un autre personnage que lui-même ? Ce sont là des questions au fond très complexes et aussi très profondes. Car qu’est-ce qui peut amener un individu à vouloir jouer un rôle, à se mettre dans la peau d’une autre personne ? Un acteur (une actrice) est quelqu’un qui est capable de s’identifier à une autre personne que lui-même et à fusionner intérieurement avec elle à un degré bien plus élevé que ne le ferait un homme (ou une femme) ordinaire. Habituellement, on observe les êtres surtout de l’extérieur. On regarde les yeux, les cheveux, les gestes que font les autres, ou leur comportement, comme on observerait un paysage ou un objet, de l’extérieur. L’acteur, lui, souvent sans même s’en rendre compte, est capable de capter ce que l’on pourrait appeler la ‘vie’ de la personne qu’il observe; pas seulement sa vitalité ou la manière qu’elle a de bouger ou de marcher, non ! La vie qui jaillit de l’intérieur de la personne en question.
Tout dépend ensuite de la qualité de l’acteur ou de l’actrice eux-mêmes, parce que ce sens de l’observation, particulièrement aigu et profond, est lié à une sensibilité plus grande que celle que l’on rencontre ordinairement, et elle connaît à son tour beaucoup de degrés. Plus l’acteur est sensible, plus il captera de finesses en nombre et en intensité chez la personne qu’il observe et qu’il cherche à connaître en profondeur. Cette faculté propre à sa sensibilité, l’acteur l’amène en général avec lui dans cette vie comme le fruit de son âme, acquis au cours des expériences humaines heureuses, mais aussi douloureuses, vécues lors de ses incarnations précédentes. Cette sensibilité n’est pas le fruit d’un apprentissage scolaire ; il s’agit d’un acquis réalisé à la suite d’expériences de vie, et cette faculté ainsi obtenue fait partie des richesses de l’âme de l’acteur concerné. Ensuite, l’intéressé peut suivre une formation d’acteur de théâtre pour acquérir certaines techniques utiles, ou même nécessaires, à l’exercice de son métier ou de son art. Mais le fond, le talent ou le don, il le possède déjà dans son âme, même s’il a choisi de naître dans une famille d’acteurs. Si c’est le cas, cela peut faciliter sa démarche dans cette vie, mais cela ne concerne pas l’origine de ses facultés, de son don.
Lié à ce que l’on vient d’esquisser, il y a dans la structure psychique de l’acteur, le désir de connaître et en même temps de vivre le personnage de son choix. L’acteur est désireux de se mettre vraiment dans la peau de la personne qu’il va incarner sur scène ; et cela, non pas juste pour le plaisir ou pour le changement, mais par nécessité intérieure, par amour. On peut même dire que plus son amour pour la personne à laquelle il s’identifie ainsi est sincère et élevé, plus il parviendra à descendre dans le personnage en question, à se fondre en lui.
Ici nous touchons à un autre aspect du métier d’acteur, celui de l’identification, ou de la fusion elle-même. Car, se mettre dans la peau de quelqu’un d’autre, comme le fait un acteur ou une actrice n’est, pour ainsi dire, pas sans danger. Sans vouloir dramatiser, disons que la réalité est que tout acteur sait parfaitement qu’en interprétant le rôle d’un certain personnage, il va, pour un certain temps, devenir intérieurement cette personne. Bien sûr, si l’acteur connaît son métier, on lui a certainement transmis des astuces, des techniques pour faire en sorte qu’il ne se perde pas (trop) dans son rôle, dans le personnage qu’il incarne sur scène. Mais, malgré tout, le fait de s’identifier à quelqu’un d’autre que soi a des conséquences psychologiques, mathématiques. Cela relève d’une loi, liée au phénomène de l’identification, contre laquelle on peut se protéger dans une certaine mesure, mais jamais totalement.
Dans la pratique, cela veut dire que quelque chose qui est lié au personnage interprété par l’acteur ‘déteint’ sur lui. Une fois la scène terminée, il reste des traces, même imperceptibles, qui s’accrochent à l’aura de l’acteur et qui continuent quelque temps encore à agir sur lui, intérieurement, psychiquement. Souvent, l’acteur aura naturellement tendance à choisir tel ou tel rôle qui lui parle, ou lui correspond. Ce qui implique que l’effet psychologique qu’exerce le rôle sur lui est déjà très proche de ce qu’il est lui-même, de ce qu’il vit, ou qu’il cherche à vivre dans cette phase de vie, pour une raison ou une autre.
 Cependant, cela n’est pas toujours le cas. Pour beaucoup d’acteurs, il s’agit de leur gagne-pain, et de plus, peu de personnes sont au courant de la véritable force de cette forme d’identification. Après avoir interprété certains rôles sur scène, beaucoup d’acteurs cherchent à se défaire des effets négatifs que ceux-ci ont eu sur eux, en recourant à l’alcool, à la drogue, ou à l’abus de la sexualité. Or, la véritable difficulté est ailleurs. Elle repose sur le fait d’avoir choisi des rôles qui sont loin d’incarner des idéaux et qui sont même néfastes pour leur psychisme. Si l’on est intérieurement très fort, très stable, on peut éventuellement se permettre d’interpréter des rôles de personnages malheureux dont le destin rempli d’adversité et qui sont frappés par la vie ; cela n’est pas mauvais en soi. Mais à ce moment-là, il faudra, en tant qu’acteur être capable de tirer, disons intérieurement, les personnages en question hors de leur marécage, pour les amener vers le haut, vers la lumière. Or, cela n’est possible que si l’on est conscient du but (spirituel) de leur vécu, si l’on a compris le pourquoi profond de la vie et du destin du personnage qu’on incarne sur scène, si on a saisi la nature de l’apprentissage lié aux événements que traverse la personne à laquelle on s’identifie. Sans cette approche plus profonde, on risque de s’immiscer psychiquement dans le vécu de la personne dont on joue le rôle, au point d’en amener avec soi des résidus qui, ensuite, vont nous encombrer.
De plus, cette approche plus spirituelle nous permet non seulement de neutraliser les effets secondaires des rôles moins glorieux que nous mettons en scène, mais, en premier lieu, elle nous élève véritablement au rang d’acteur.
A l’avenir, les acteurs devraient recevoir une instruction allant au-delà de la technique de mise en scène pour devenir capable d’élever chaque rôle au-dessus de son niveau purement humain. On parle ici du domaine de l’âme où l’on nous instruit sur le sens du vécu humain, sur le pourquoi de l’existence du mal, de la douleur et de la souffrance. Certains rôles et certains scénarios que l’on met allègrement en scène à l’heure actuelle seront probablement abandonnés pour n’avoir aucun sens profond concernant la vie de l’âme. Ce qui ne veut cependant pas dire que tout le mal est mauvais, et doit être extirpé a priori. Le métier, ou l’art, de l’acteur du futur inclut ce défi, à savoir : apprendre à discerner les rôles édifiants parmi ceux qui ne le sont vraiment pas, et savoir comment transformer (intérieurement) les aspects négatifs liés à certains rôles ou personnages en les amenant vers la conscience de l’âme, vers le but de leur vécu, considéré d’un point de vue spirituel.
Mother
(A suivre)